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09/12/2013

Le "Fait maison" au restaurant, alors, on fait quoi ? (avec retour sur le colloque IEHCA)

Début novembre, j'ai assisté à Tours à un colloque sur le "fait maison". J'avais déjà dit quelques mots sur un événement inattendu survenu ce jour-là, l'irruption de La Barbe face à une table ronde entièrement masculine. Maintenant, je vais aborder plutôt le fond des débats. Je ne vais pas vous rendre compte de la totalité du colloque mais plutôt de ce qui m'a marqué ou qui a fait écho à mes réflexions.

Commençons par le "fait maison" au restaurant. Régulièrement, on lit qu'aujourd'hui, 70 à 80% des restaurants ne proposent pas du fait maison. Achètent du tout prêt sous vide ou des composants à assembler, ne cuisinent plus mais ne le disent pas. La discussion autour de ce sujet n'est pas nouvelle et un de ses grands agitateurs, luttant sans relâche contre la malbouffe, est Xavier Denamur. J'avais évoqué le sujet lors de la sortie de son film il y a environ un an et demi. Cet enjeu du "fait maison" est particulièrement d'actualité car il est rediscuté ces jours-ci au Parlement : d'après ce que j'ai compris, la loi pourrait introduire la notion de "fait maison" au restaurant. Ceux qui en font seraient obligés de le déclarer, mais ceux qui font le contraire, n'auraient rien à indiquer. Etrange... Le sujet est en tout cas complexe, me semble-t-il, et je ne prétends surtout pas en faire le tour ici !

Il y a quelques dizaines d'années, on ne se posait pas la question. On allait au restaurant, peut-être moins souvent qu'aujourd'hui, et on savait qu'il y avait du monde en cuisine pour éplucher, désosser, préparer des sauces, des crèmes, faire sauter, rôtir, dresser...

Puis peu à peu, l'agro-alimentaire a élargi son offre et son emprise, la règlementation en termes d'hygiène s'est durcie (c'est devenu bien plus simple d'acheter une sauce toute prête que de la faire), on a trouvé que tout cuisiner prenait beaucoup de temps, que cela demandait beaucoup de bras, que les charges salariales étaient élevées. Alors, quand un fabricant propose des produits prêts à l'emploi ou presque, propose finalement de travailler moins et de gagner plus, pas évident de résister... Comme l'a dit en son temps lointain La Rochefoucauld, " Les vertus se perdent dans l'intérêt, comme les fleuves dans la mer"... Il reste évidemment des défenseurs du fait maison, des restaurateurs courageux et passionnés, comme un couple qui a un petit restaurant, rencontré au colloque. Ils y travaillent tous les deux, lui avouant 17h de travail par jour en été, 13h en hiver. Ce qui est possible (et épuisant) quand on est à son compte mais qu'on ne peut pas demander à du personnel. Combien sont prêts à se lancer dans un métier si exigeant ?

Au colloque, il y a eu une table ronde sur le sujet, avec des participants assez éclectiques, de Dominique Loiseau, parlant de son contexte 3 étoiles, à Alain Tortosa, initiateur du site "les restaurants qui font à manger", encore d'assez faible impact en termes de nombre d'inscrits mais donnant de sages conseils. Le débat s'est un peu égaré sur des points de détail comme la proposition de confitures artisanales au restaurant Loiseau, bien meilleures que celles produites sur place. Il parait clair qu'un restaurant n'est pas forcément le plus compétent pour le pain, le fromage, le beurre, la charcuterie, ... Il peut (et devrait) indiquer les artisans qui fournissent le restaurant, aucune raison de le cacher ! Voire même les pâtisseries : un bon cuisinier n'est pas forcément pâtissier, pourquoi ne pas faire appel à une très bonne maison locale si elle existe ?

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Table ronde animée par Caroline Champion (au centre) : Alain Tortosa, Martin Berasategui (chef espagnol), Bernard Reynal (président de la Fédération Nationale des Bistrots de Pays), Dominique Loiseau

Car ce que réclament Xavier Denamur et un certain nombre d'autres, c'est LA TRANSPARENCE. Il ne s'agit pas d'interdire des restaurants, sous réserve évidemment qu'ils respectent les règles d'hygiène, mais de lutter contre le mensonge, effectif ou par omission. Sauf que ce n'est pas si simple.

D'abord parce qu'il y a de puissants lobbies de l'agro-alimentaire, qui essaient d'empêcher le vote d'une règlementation qui pourrait aller contre leur intérêt. Eux ne veulent pas la transparence, quoi qu'ils en disent (et ils sont aussi liés à certains chefs qui "noient le poisson"...). Parce qu'ils savent bien (même si certains s'exclament qu'il vaut mieux du bon industriel plutôt que du mauvais fait maison) que ce n'est pas cela qu'attend le client. Naïvement -et probablement encore davantage si c'est un touriste en visite au pays de la gastronomie-, le client imagine quand il va au restaurant que c'est forcément cuisiné sur place. Il y a "tromperie par le non-dit" a dit un des intervenants.

Ensuite, parce qu'on peut se demander comment définir le "fait maison" ? Est-ce que c'est fait sur place ? Cela ne suffit pas. Avec quels types d'ingrédients ? Est-ce qu'il s'agit de cuisiner sur place avec des produits frais et bruts ? Tous les plats ou une partie ? Est-ce qu'il faut un marquage par plats ou un label pour le restaurant ? Est-ce qu'il faut définir un seuil pour la proportion de "fait maison" pour avoir un label ?

Au colloque, certains réclamaient un statut similaire à l'"artisan boulanger" (le pain doit être pétri, fermenter, être façonné, cuire sur place) mais Xavier Denamur (lu dans une interview) ne trouve pas le parallèle encourageant car cela n'empêcherait pas les mêmes "artisans boulangers" de se vouer à la pâtisserie industrielle... Lui propose une signalétique simple à première vue : "une petite maison quand c’est cuisiné sur place à partir de produits bruts et une petite usine pour les plats mijotés dans des ateliers ou des «grandes cuisines»". Mais quid de l'assemblage mixte, quid d'une part de "tout prêt". Où fixe-t-on le curseur ? Est-ce qu'on doit indiquer par ailleurs ce qui relève de la congélation maison (ce que fait Régis Marcon, chef 3 étoiles, pour une courte conservation de ses langoustines, a indiqué Dominique Loiseau).

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Chez Semilla (Paris 6ème) par exemple, la cuisine est ouverte, on imagine qu'il y a une bonne part de "fait maison" !

Et, au fait, pourquoi c'est important ?

- parce qu'on a le droit de savoir ce qu'on mange, ce qu'on fait absorber à son corps.

- parce que, quand on mange des produits industriels, justement, on ne sait pas ce qu'il y a dedans, et il y a probablement toutes sortes d'additifs (conservateurs, colorants, exhausteurs de goût ou renforçateurs  de texture...) dont la consommation répétée n'est probablement pas la meilleure façon de se nourrir ;

- parce que souvent on risque de payer bien au-delà de la valeur réelle de ce qu'on propose, tous frais compris.

- parce que plus on rencontre d'opacité concernant son alimentation, plus on se méfie, plus on risque peu à peu de développer des comportements d'exclusion de catégories d'aliments, de stress autour des repas, ...

Que peuvent faire les restaurants qui proposent du "fait maison" ?

- Valoriser le fait qu'ils cuisinent des produits frais, parler de leurs fournisseurs, les mettre en valeur sur sa carte (comme le fait par exemple Xavier Denamur aux Philosophes ou comme je l'avais vu dans une crêperie à Quimper-ci-dessous),

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- Eduquer les clients qui se plaindraient de la carte restreinte en leur expliquant (par exemple sur la carte) leur choix d'une cuisine de saison et le nécessaire arbitrage entre les ressources, le prix et le choix.

Comment exercer notre "pouvoir" en tant que clients ?

- demander sur place si c'est du "fait maison" ? Cela parait assez vain, les menteurs péremptoires sont nombreux, on le voit dans des émissions de télé et je l'ai expérimenté moi-même. Une possibilité qui avait été suggérée par Rue 89 était de prétendre une allergie à un composant. Mais je ne suis même pas sûre que cela suffise, je crains que certains ne préfèrent risquer de vous rendre malades plutôt que d'avouer qu'ils ont recours à des produits industriels....

- se méfier de l'équation carte longue-effectif limité-prix réduit : c'est impossible !

- en revanche, choisir nos restaurants : une carte très courte, des intitulés pas trop prétentieux, de la cuisine "du marché" qui change souvent et suit les saisons, des plats ou des desserts qui ne sont pas ceux qu'on voit partout (fuir le plus souvent le moelleux au chocolat ou l'île flottante), éventuellement une cuisine ouverte ou que l'on peut demander à voir, du monde en cuisine (à proportion de la diversité de la carte ou de la complexité des plats). Le site de l'Observatoire des Cuisines Populaires avait interrogé quelques professionnels sur le sujet (intéressant à lire en complément).

- accepter de payer le juste prix : mieux vaut peut-être aller moins souvent au restaurant mais s'offrir un "vrai" restaurant dont vous êtes sûr de la cuisine (si tant est que les "faux" restaurants qui assemblent et réchauffent soient vraiment meilleur marché...).

- accepter, et au contraire, apprécier qu'il y ait peu de choix ou que certains plats soient manquants en fin de service : c'est la rançon de la fraîcheur... Accepter d'attendre un peu un plat (et s'étonner au contraire d'un risotto qui arriverait dans les cinq minutes...).

- donner une éducation gustative aux enfants pour qu'ils soient capables d'apprécier les bons produits et de délaisser la cuisine industrielle aseptisée. Et cuisiner à la maison. Car si au contraire, on s'habitue à des plats industriels chez soi et à l'extérieur, cela deviendra le goût de référence, formaté, celui qui primera peu à peu sur les autres. Quelle tristesse, non ?

Et vous, vous sentez-vous concernés ? Etes-vous vigilants sur ce sujet ? Que faites-vous par exemple ?

NB : Je vous recommande la lecture de l'interview de Xavier Denamur dans Biomood